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Procédure pénale : délit de refus de remise de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie

Procédure pénale : délit de refus de remise de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie

Publié le : 20/02/2023 20 février févr. 02 2023

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu une importante décision en matière de déverrouillage d’un téléphone. Dans un arrêt du 15 novembre 2022 (n°21-83.146), la Haute juridiction vient de décider, en formation solennelle, que le refus d’une personne requise par l’autorité judiciaire de communiquer le code de déverrouillage de son téléphone portable constituait une infraction, en l’occurrence le délit de refus de remise de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, prévu par l’article 434-15-2 du Code pénal. La conséquence en est simple : une personne entendue ou placée en garde à vue peut se voir demander la communication du code permettant l’ouverture et par conséquent la consultation de son téléphone personnel, sauf à commettre le délit susmentionné, que la loi réprime d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 270 000 € d’amende. Autrement dit, la personne ne peut se retrancher derrière son droit au silence ou son droit à ne pas s’auto-incriminer pour refuser d’ouvrir à la consultation par la police judiciaire de son téléphone, sauf à accepter d’engager sa responsabilité pénale. 

Là-dessus, plusieurs observations méritent d’être faites. 

Tout d’abord, au plan technique, il n’est pas certain que cette solution soit parfaitement en concordance avec la lettre la loi. En effet, à proprement parler, le code de déverrouillage du téléphone permet d’ouvrir l’accès au contenu de celui-ci (journal des appels, messageries, courriels, photographies, fichiers, etc.), mais il ne chiffre pas ledit contenu. Le code est une clef qui permet d’ouvrir l’appareil mais il n’est pas un protocole de chiffrement du contenu lui-même, lequel peut être, comme c’est le cas le plus souvent, exempt de tout cryptage. De ce point de vue, la Cour de cassation semble confondre accès à l’appareil, d’une part, et chiffrage de son contenu, d’autre part. 

Or cette confusion, que la Haute juridiction décide de réaliser, pourrait être de nature à ouvrir la voie à une contestation de sa jurisprudence sur les terrains constitutionnel et européen.

Au plan constitutionnel, une éventuelle QPC pourrait être soulevée dans le cadre d’une poursuite pour refus de remise à l’encontre d’un prévenu qui aurait refusé de communiquer son code de déverrouillage. Ladite question consisterait à opposer l’inconstitutionnalité de l’article 434-15-2 du Code pénal, tel qu’il est interprété par la jurisprudence de la Cour de cassation. A cette fin, le principe du respect des droits de la défense découlant de la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pourrait être mobilisé. Il peut se trouver des juridictions du fond, dubitatives quant à la constitutionnalité de la jurisprudence de l’Assemblée plénière, pour transmettre une telle question. Si cela devait être la cas, l’incohérence technique de la solution retenue ne plaide évidemment pas en faveur de sa constitutionnalité, puisque la loi pénale est d’interprétation stricte. La Cour de cassation, dans sa décision, étend en effet la notion de cryptologie à ce qui techniquement n’en relève, c’est-à-dire l’accès au document. 
La situation est la même que celle dans laquelle un policier exigerait de la personne la clef de l’appartement dans lequel se trouve un document chiffré. Il y a bien chiffrage d’un document, mais par la clef qui ouvre la porte de l’appartement, laquelle n’est pas un moyen de cryptologie. Considérer que c’est pourtant le cas pourrait donc être jugé par le Conseil constitutionnel comme constituant une interprétation extensive de la loi pénale, contraire à ce titre à la garantie des droits et au principe de légalité des délits et des peines.

Au plan européen, la remise en cause de cette solution pourrait s’opérer sur plusieurs terrains. Elle pourrait tout d’abord être envisagée sur le fondement de l’article 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont le paragraphe énonce le principe le respect des droits de la défense. Elle pourrait l’être également sur le terrain de la protection des données personnelles, sur le fondement de l’article 5 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) qui requiert un traitement licite et loyal des données personnelles. Dans les deux cas, il y a là matière à soulever une question préjudicielle devant la Cour de Luxembourg. Mais la contestation de la solution pourrait aussi prospérer devant la Cour européenne des droits de l’homme, si celle-ci devait être saisie pour manquement de la France à l’article 6 de la CEDH, par suite d’une condamnation définitive pour refus de remise en pareil cas, notamment.
 

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